Faire face à la couverture de L’Eté Diabolik, c’est être envoûté et hypnotisé par le regard rose,
inquiétant et soutenu d’un personnage légendaire de la culture populaire
italienne des sixties. Tourner les pages de ce magnifique album de la paire
Smolderen/Clérisse (en 2013, ils nous avaient déjà mis à genoux avec Souvenirs de l’empire de l’atome) c’est
plonger entièrement dans un roman graphique d’initiation plein de
rebondissements. C’est ressentir l’explosion de couleurs d’un été en Aquitaine
dans les années 60. Antoine a 15 ans, il s’apprête à passer de bonnes vacances
entre parties de tennis avec son nouvel ami Erik et sorties diverses sous
influence hormonale. L’été de toutes les expériences ? Les mystères qui
entourent les drôles de comportement de son pote et surtout ceux de son père
vont vite obscurcir le tableau quasi psychédélique qu’a peint ce virtuose
qu’est Alexandre Clérisse. Figure montante et brillante de la BD française, ce
graphiste-illustrateur nous entraîne ici dans une composition riche et
novatrice qui ravira votre œil page après page. Porté par un sublime scénario, L’Eté Diabolik, paru en janvier chez
Dargaud, est un bijou de la taille d’une boule à facettes. Admiratif d’un bout
à l’autre de cette œuvre (n’ayons pas peur du mot !) indispensable, il
m’était impossible de ne pas me mettre en contact avec son artiste.
DiaBEAUlik !
INTERVIEW ALEXANDRE CLERISSE
Alexandre, quel est votre parcours ? Quelles
influences majeures constituent le socle de votre style ?
Je voulais faire de la BD très tôt mais j’ai d’abord fait
des études de graphisme, puis je suis revenu vers l’ESI (l’Ecole européenne
supérieure de l’image) d’Angoulême. Grâce à Thierry Smolderen, un de mes
professeurs, j’ai participé au site internet www.old-coconinoworld.com ce qui
m’a permis de faire mon premier album Jazz
club chez Dargaud en 2006. Après 3 ans en résidence à la maison des auteurs
à Angoulême, j’ai intégré un atelier (« le gratin »), toujours à
Angoulême, que nous partageons à dix. Depuis Souvenirs de l’empire de l’atome, j’ai entamé une collaboration
avec Thierry Smolderen mais je travaille régulièrement en graphisme ou en
illustration. Mes influences sont très larges. En bd bien sûr cela va de
Franquin à Chris Ware en passant par Prudhomme mais je vais chercher d’autres
choses plutôt du côté du cinéma d’animation, de la peinture, de l’illustration,
du graphisme.
Quelles sont vos aspirations graphiques en tant que
dessinateur et illustrateur professionnel et reconnu ?
J’aimerais bien trouver un univers graphique fort qui me
permette de raconter beaucoup choses variées (comique comme tragique ) et qui
me permette d’explorer tout type de narration formelle.
Comment qualifieriez-vous L’Eté Diabolik ? En quels termes parleriez-vous de ses
couleurs ?
Tout comme Souvenirs
de l’empire de l’atome, L’Eté Diabolik est une tentative de retranscrire
l’ambiance d’une époque, pas seulement par le décor et les costumes mais
surtout par les codes graphiques de l’époque. Je parlerais des couleurs plutôt
en termes musicaux, les gammes et les accords de couleurs donnent la tonalité
qui plonge le lecteur dans les années 60. La couleur est à la base de mon
dessin d’autant plus que j’essaie d’évincer le trait au maximum en jouant sur
les chocs entre deux couleurs et non sur le contraste.
Avant même de vous lancer dans ce projet, quelles étaient
les prérogatives artistiques et stylistiques ?
Notre désir, dans ce genre d’ouvrage est de rendre
hommage à une époque mais surtout à tous « les créateurs de l’ombre »
qui œuvraient dans la culture populaire. Souvent dénigrés ou oubliés, ils ont
influencé des générations de créateurs dans tous les domaines et laissé une
empreinte indélébile dans l’imaginaire des jeunes lecteurs. L’idée était d’étudier
tous les codes qu’ils avaient mis en place et comprendre ce qui les inspirait.
Mais bien sûr cela devait rester en arrière-plan car nous souhaitions d’abord
faire une histoire de fiction entraînante avec du mystère mais aussi de la
psychologie. En aucun cas, nous souhaitions faire un album de nostalgie ou
« post moderne » mais bien rester dans une bande dessinée actuelle.
Avez-vous passé beaucoup de temps à vous documenter sur
l’esthétique de l’époque à laquelle l’histoire se déroule ? Que
vouliez-vous qu’il s’en dégage ?
Lorsque Thierry Smolderen me donne le scénario, il vient
accompagné de dizaines d’ouvrages d’art, de BD, de magazines et d’une clé
remplie de documents et de films. Chaque séquence est référencée à un film, à
des illustrateurs ou des designers, etc… qui peuvent parfois n’avoir rien à
voir les uns avec les autres. Je passe alors beaucoup de temps à décortiquer
tout cela, analyser les alliances de couleurs, les types de mises en page et de
cadrages, les postures des acteurs. Je dois alors faire abstraction de tout
cela pour retranscrire cela à ma manière.
Comment travaillez-vous ? De quels outils vous
êtes-vous servis pour réaliser toutes ces pages ?
Je travaille essentiellement en numérique sur le logiciel
Illustrator, avec des vecteurs et des formes. Je crée mes personnages comme des
sortes de marionnettes que j’anime et que je déplace. J’ai aussi créé des
textures en aquarelle que j’intègre pour donner du relief. Ce procédé me permet
d’avoir une vision colorée de mes pages assez vite et permet à Thierry de me
faire des retours pour ajuster au millimètre la narration.
Quels plaisirs avez-vous pris et quelles galères
avez-vous endurées pour cet album ?
Le temps peut être long avant de trouver la bonne
ambiance pour une séquence et on a souvent envie de tout jeter par la fenêtre
mais une fois que le puzzle s’assemble et que cela se construit, le pied est
total. Ma façon de travailler tient plus du Lego que du dessin.
Quel est votre degré de complicité avec Thierry
Smolderen ? Intervient-il dans votre travail et vice-versa ?
Thierry était mon professeur à l’ESI d’Angoulême, il m’a
mis le pied à l’étrier et je lui dois énormément. Nous avons continué à nous
côtoyer après l’école en tant qu’amis puis il m’a proposé Souvenirs de l’empire de l’atome qui était pour lui aussi une
nouvelle expérience. Il me pousse dans mes retranchements en allant chercher
des références parfois à contre-pied, ce qui me fait toujours progresser. Etant
aussi historien de la BD, il est sans cesse en recherche de perles historiques
et modernes qui stimulent la créativité de tous ses dessinateurs avec qui il
travaille comme Dominique Bertail, ou Laurent Bourlaud. Ma technique de travail
permet pour lui d’avoir une vision presque finale de la page mais avec la possibilité
de montage qui lui laisse la place de faire des ajustements jusqu’à la dernière
relecture. Souvent je découpe les pages différemment de ce qu’il écrit pour le
surprendre ce qui lui donne aussi l’occasion de rebondir sur de nouvelles
idées.
A-t-il été plus facile ou difficile de composer L’Eté Diabolik en comparaison à Souvenirs de l’empire de l’atome?
Pour Souvenirs de
l’empire de l’atome, tout était à trouver de mon côté, j’avais déjà flirté
du côté du style sixties mais je n’avais pas poussé aussi loin. Il a fallu que
je trouve mon trait dans toutes les références. De plus, nous ne savions pas à
quoi le livre ressemblerait au final. Mais, du coup pour L’Eté Diabolik, nous avions déjà mis pas mal de choses en place.
Mais comme nous changions de références et de climat, il a fallu reprendre
presque à zéro.
Je trouve que vous faites plein de clins d’œil :
Tati (Mr Hulot), Edward Hopper, Pablo Picasso, M.C Escher… Je suppose que c’est
voulu.
Bien sûr, beaucoup de clins d’oeil sont des citations
directes mais certaines influences restent constantes avec des réminiscences
d’un album à l’autre.
A quoi vont ressembler les dix prochains mois de votre
année ?
Je travaille actuellement sur un livre « cherche et
trouve » sur le cinéma pour les éditions Milan et demi et parallèlement
nous travaillons sur un nouveau projet qui se déroulera dans les années 80.
Un très grand merci à Alexandre Clerisse.
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