INTERVIEW NICOLAS MATHIEU


Sorti en 2014 chez Actes Sud et remportant six prix, Aux animaux la guerre, n’était pas passé inaperçu. Incisif, corrosif et d’une brutalité sourde, le style avait marqué les esprits. Il ne pouvait alimenter qu’une histoire forte, de celles qu’on lit souvent dans les journaux mais qu’on ne voit plus forcément faire la une des JT. Les crises économiques, sociales, morales et humaines se succèdent et en deviendraient presque ‘banales’. Les personnages du roman vivent dans les Vosges, dans une région en grande difficulté. Quand une usine ferme, c’est l’ouverture sur tout ou plutôt sur rien. Le déclassement supplante le reclassement…alors on fait quoi ? Avec qui ? Pour quoi ? Pour qui ? Le premier livre de Nicolas Mathieu est plus un roman noir social qu’un polar. Il suinte le vécu. Il frappe par son authenticité et son âpreté. Il laisse des traces, une empreinte. Rencontre et explications avec un auteur à suivre. (février2016)


Est-ce qu’on peut dire que, de par votre parcours, vous portiez réellement  ce premier roman en vous ?
Oui, ce qu’on écrit c’est toujours la somme des millions d’expériences vécues avant de se mettre à l’écriture. Et en même temps non, parce qu’il m’a fallu près de quatre ans et demi pour en venir à bout. Au fond, c’est aussi un processus. Un travail. Ce n’est pas seulement la restitution d’une chose qu’on aurait accumulée. Ça se fait en se faisant.
D’où vous vient ce ton qui claque ? S’il n’y a pas de rage, que pensez-vous y avoir mis ?
Je n’écris pas par émerveillement devant la beauté du monde ou pour rendre hommage à quoi que ce soit. J’écris parce que je suis en colère. Parce que je pense que la vie nous fait la guerre et qu’il faut bien rendre les coups, de temps en temps. Les années passent, il y a les bleus à l’âme, les gens qu’on perd, ces filles qui nous échappent, ces erreurs incalculables. Il y aussi l’état des choses, presque toujours révoltant. Alors il faut bien fourbir ses armes et riposter. Le style est une tentative, la littérature en général. Boire un coup avec des amis aussi. Tout ce qui peut faire qu’on n’abonde pas dans le sens des choses.

Quelle lumière pouvez-vous apporter sur le très beau (mais opaque) titre de votre livre ?
Ce titre est tiré des Animaux malades de la peste de La Fontaine. J’aime l’idée qu’un livre soit composé de strates de significations, auxquelles on n’accède pas toujours. Ce titre en est un exemple. Dans cette fable, il est dit «Tous n’en mourraient pas, mais tous étaient frappés. » C’est exactement le sentiment que j’avais eu en assistant à des plans sociaux en 2008, en pleine crise des subprimes. On y lit aussi «selon qu’on soit puissant ou misérable. » Et effectivement, les mecs qui avaient produit les actifs pourris à l’origine de la crise, loin là-bas à Wall Street, ne semblaient pas touchés par les effets de cette crise avec la même force que ces ouvriers que je voyais à Maubeuge ou ailleurs. Enfin, «haro sur le baudet. » Car à la fin, quand rien ne va plus, il faut bien se trouver un bouc émissaire. Et c’est un peu le sujet qui demeure en filigrane dans le bouquin. Vers qui se tournent les prolos, les petits blancs, quand on leur a tout pris. A qui font-ils porter le chapeau ? Pire : sur qui vont-ils décharger leur colère ?

L’aspect social est très prégnant. Est-il, à votre avis, un élément indissociable du roman noir ?
Les termes social et politique sont employés dans des acceptions trop restrictives (au contraire du mot fasciste par exemple qui englobe des catégories toujours plus larges de méchants). Il me semble que, dès qu’on parle des rapports des hommes entre eux, il est question de social et de politique. Comment on se débrouille avec la nécessité de vivre en commun, comment on y parvient et comment on y échoue interminablement ? C’est tout ça qui m’intéresse. Et le roman noir a pour vocation de décrire des états du monde. Souvent les bas-fonds, mais pas seulement. Sa mémoire et son horizon, ça consiste toujours à dresser l’état des lieux des faces cachées. 

Il y a beaucoup de personnages dans votre roman. Quels sont ceux qui vous sont venus en premier ? Comment réussit-on à articuler leur vie, leur personnalité pour qu’ils intègrent parfaitement la matrice de l’intrigue ?
Rita est venue la première. Parce qu’en disant « elle », j’essayais de repousser le plus loin possible la tentation du « je ». Pour me protéger de cette mauvaise pente que j’ai longtemps eue, baigner dans mon nombril, me raconter, moi, mes soucis, mes frustrations, blablabla. Ce dont tout le monde se fout légitimement. Après, le travail de construction, de structure, c’est un truc de mécanique, de longueur et de peine. Faut bosser.

Eprouvez-vous de l’empathie pour vos personnages ?
Un auteur qui n’éprouve pas d’empathie pour ses personnages, je ne vois pas très bien à quoi il sert, vu que notre job, c’est précisément de permettre aux gens de se mettre dans les baskets des autres. Les médias suscitent de l’engagement et du clash. Sur chaque sujet, nous sommes mobilisés, presque au sens militaire du terme. Sommés de choisir un camp. Oui ou non. Pour ou contre. Indignés ou pas.
Le livre, au contraire, a le temps, et peut-être le devoir, de nous emmener dans la tête de l’autre. De nous identifier à ses désirs. 

La visite des Vosges que vous offrez aux lecteurs est glaciale et glaçante. Auriez-vous pu inscrire cette histoire dans un autre milieu socio-économique que celui-ci ?
Oui, mais avec un degré d’exactitude moindre. Cette terre avec laquelle j’ai un rapport pour le moins ambivalent, reste inscrite dans mes sens et ma mémoire. C’est celle que je pouvais restituer le mieux. On peut faire éprouver les motivations des personnages. On doit aussi essayer de transmettre les sensations que les gens, les paysages, les climats ont suscitées en nous.

Sur ce monde à bout de souffle que votre roman réaliste et pessimiste décrit, quel avenir vous lui prédites ?
Aucun. Ce n’est pas mon rôle d’envisager son avenir. Pas plus que de proposer des solutions. Je suis un témoin, un voyeur. Je me nourris du réel, j’essaie de le rendre, de parler à la place des gens qui n’en ont pas toujours l’occasion. Ça s’arrête là.

Quelle a été votre bande sonore durant l’écriture de ce roman ?
C’est difficile à dire. Il y a beaucoup de morceaux évoqués dans le livre, avec une tendresse particulière pour Kim Wilde. J’ai surtout essayé de rendre les ambiances qui baignent le milieu que je décris. Après, je me souviens avoir écrit pas mal de passages en écoutant de la musique de films. « Drive »notamment.

Face aux multiples prix qu’il a remportés, quelle a été votre réaction ?
La surprise pour commencer. Le soulagement ensuite, parce que j’ai longtemps eu peur d’être un raté. J’écris depuis toujours et  je craignais vraiment que ça n’aboutisse jamais, que je ne sois jamais publié, lu, reconnu. Ces prix m’ont permis de laisser ces angoisses derrière moi. Et d’en trouver de nouvelles (assurer pour le bouquin suivant par exemple).

A posteriori, quel(s) reproche(s) lui feriez-vous ?
Un manque de simplicité. L’absence du point de vue managérial aussi. En revanche, je sais qu’on me fait souvent le reproche de la fin en points de suspension. Là, je ne lâche rien. La vie ne s’achève jamais sur du sens. A chaque fois qu’on produit une morale à la fin d’une histoire, on triche.

Pour votre deuxième roman, pensez-vous rester dans cette veine roman noir social et incandescent ?
Oui. Mais l’intrigue se déroulera en été, car je n’en peux plus de décrire le froid, le gel, la neige, la buée qui sort de la bouche des personnages. Il fera chaud. A tous les points de vue.
Mais pour l’heure, je bosse surtout à l’adaptation de ce premier roman en série TV. Ce sera sur France 3 et sûrement en 2017. 

Un grand merci à Nicolas Mathieu.

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